Lindre-Basse

by Marie Bechetoille
in CAC Synagogue de Delme residency, 2017

Superpositions des expériences. La découverte de la forêt amazonienne : la mousse a pris possession des lieux se logeant jusqu’aux feuilles des arbres. Des fourmis grimpent sur le corps parfumé des humains. Se frotter avec des herbes pour donner l’illusion d’être végétal. Plus tard, parcourir des forêts mosellanes et écouter un bryologue raconter sa conception de l’espace, l’industrialisation et le commerce brutal de la nature. Ramasser des champignons après que la pluie soit tombée. Jeux de transparence, collages et pliages, une flore stylisée apparaît et disparaît en regard d’un moment de suspens en noir et blanc.

Le point de départ du travail d’Éléonore False est l’image. Observée, extraite, classée. Découpée, agrandie, décolorée, superposée, juxtaposée, pliée, renversée, inversée. Observée, oubliée, retrouvée. Grâce à un ensemble de gestes, elle lui propose d’exister autrement la libérant de son contexte originel, historique et symbolique. Elle s’empare de sa matérialité, de ses motifs, trames et couleurs. Inévitablement certaines images se manifestent à la mémoire avec insistance, comme pour demander l’émancipation de leur planéité — un rappel de leur racine imago/imagines, masques funéraires antiques permettant aux défunts d’être présents lors des processions à travers l’empreinte à la cire de leurs visages.

Images glanées de champignons rares sur papier glacé. Travailler avec un souffleur de verre pour les réinterpréter sans chercher la copie ou la fonctionnalité. Les techniques de fabrication artisanales : tissage, vannerie, raku, sont choisies par l’artiste pour leur capacité de traduction et lui inspirent la recherche de typologies d’images particulières. Chauffer, souffler, tourner, souffler, tourner, ciseler, sabler. Le savoir-faire verrier évoque l’esthétique organique, les excroissances et les courbes étranges des russules, pézizes ou trémelles. Si l’analogie entre le corps et la nature est évidente, la forme produite est solitaire, arrachée à son socle mnémonique, réouverte.

Palais de la mémoire. Les sculptures et les installations sont les éléments d’un paysage en construction. Elles dialoguent entre elles sous de multiples combinaisons pour retrouver ensuite leur mode fragmentaire, telles une métonymie : la partie pour le tout. Novalis écrit dans Fragments : « Notre corps est une partie du monde, ou pour mieux dire, un membre. Il exprime déjà l’autonomie, l’analogie avec le tout – bref la notion de microcosme. Il fait que ce membre corresponde à l’ensemble. Il fait que le tout corresponde à ce membre. » Dans la pratique d’Éléonore False, les effets sont indirects, induits par le corps de l’autre, celui qui à son tour va observer les formes produites, s’en emparer, les oublier, les retrouver. Le regardeur est invité à une conversation silencieuse et au déplacement. Evoquant à la fois l’errance et le rêve, les images laissent les associations et les interactions agir. Une allégorie romantique soumise à d’éternels retours. L’infini d’un processus circulaire de contemplation et d’oubli. Un perpétuel inachèvement promesse d’espaces et de transgressions.

 

Superposition of experiences. Discovering the Amazonian forest, where moss has taken over and extends as far as the leaves of trees. Ants crawl over the scented bodies of humans. Rubing yourself with grass to create the illusion of being a plant. Later, wandering through the Moselle forests, listening to a bryologist describe his concept of space, industrialisation and the crude commodification of nature. Gathering mushrooms after the rain. Transparency, collage and folding; stylised flora appears and disappears in light of an unresolved black-and-white moment.

In the work of Éléonore False, the image is the point of departure. Observed, extracted, classified. Divided, enlarged, discoloured, superposed, juxtaposed, folded, reversed, inverted. Observed, forgotten, rediscovered. Through a range of gestures, she offers the image the possibility of an alternate existence, freeing it from its original, historical and symbolic context. She embraces its materiality, patterns, frames and colours. Inevitably, certain images insist on manifesting themselves in memory, as if demanding to be freed from their flatness—a reminder of their imago/imagines root, ancient funerary masks allowing the deceased to assert their presence during processions through the wax imprint of their faces.

Collected images of rare mushrooms on glossy paper. With the help of a glass blower these images are reinterpreted, without seeking to copy them or produce functional objects. Traditional craft techniques such as weaving, basketry, and raku are chosen by the artist for their expressive potential and inspire her to search out specific types of images. Heating, blowing, turning, blowing, turning, chiselling, sandblasting. This glassmaking expertise is evocative of organic aesthetics: the offshoots and strange curves of russulas, pezizas, or tremellas. While the analogy between the body and nature is clear, the form produced is an isolated one, torn from its mnemonic pedestal, re-opened.

A memory palace. The sculptures and installations are elements in a landscape-in-progress. They enter into a multi-faceted dialogue before returning to their fragmentary state, in the manner of a metonymy, the part standing in for the whole. In his Fragments, Novalis writes: ‘Our body is a part of the world—or better, a limb: It already expresses the independence, the analogy with the whole—in short, the concept of the microcosm. The limb must correspond to the whole. The whole must correspond to the limb.’ In the work of Éléonore False, effects are indirect, induced by the body of the other, who in turn observes the forms produced, takes possession, forgets and rediscovers them. The viewer is invited to engage in silent conversation and movement. Evoking dreams and wandering, the images give free rein to associations and interactions. A romantic allegory, subject to eternal returns. The infinite scope of a circular process of contemplation and oblivion. A perpetual incompletion, a promise of spaces and transgressions.